La résistance aux antibiotiques est souvent qualifiée de « pandémie silencieuse », une menace croissante à l’échelle mondiale qui rend les infections bactériennes, virales et fongiques plus difficiles à traiter, augmentant ainsi le risque de maladie grave ou de mort.
Et si les milieux de soins ne constituaient pas la seule source de ce problème? Et si les causes à l’origine de la résistance aux antimicrobiens se trouvaient à l’extérieur de l’hôpital, dans l’environnement, même dans les eaux usées qui s’écoulent sous nos villes et nos communautés?
Gustavo Ybazeta, Ph. D., spécialiste de la génomique et microbiologiste à l’Institut de recherches d’Horizon Santé-Nord (IRHSN), aborde cette question de front. Son projet le plus récent, soutenu par une subvention à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), examine comment l’exposition aux métaux lourds comme le cuivre, le plomb et le mercure influence la manière dont les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques en recueillant et en analysant des échantillons d’eaux usées des usines de traitement du Nord de l’Ontario. L’usine de traitement de la ville de Sudbury, Santé publique et Aleksandra Mloszewski, Ph. D. et chercheuse scientifique travaillant pour la Commission géologique du Canada, collaborent au projet. James Knockleby, Ph. D. et Barbara Barbosa Langella, titulaire en 2025 de la bourse d’études supérieures en recherche du Canada au niveau de la maîtrise, sont membres de notre équipe de laboratoire.
« Ce n’est pas un sujet auquel la majorité des gens réfléchissent, affirme le M. Ybazeta. Quand ils pensent à la résistance aux antimicrobiens, les gens imaginent une utilisation excessive d’antibiotiques par les humains et les animaux. Mais d’autres facteurs dans l’environnement exercent également des pressions sur les bactéries. Dans le Nord de l’Ontario, en raison de sa longue histoire minière, les métaux lourds font partie de l’équation. »
Tout comme les humains ont évolué pour devenir résistants à certaines infections, les bactéries peuvent développer des mécanismes de résistance aux antibiotiques qui leur permettent de survivre aux traitements qui les tuaient auparavant, ajoute M. Ybazeta. C’est ce que l’on appelle « résistance aux antimicrobiens ». Toutefois, le fait que les bactéries peuvent également résister à la toxicité aux métaux lourds comme le plomb, le cuivre ou le mercure est bien moins connu, et ces métaux peuvent influencer le développement de la résistance aux antimicrobiens d'une manière surprenante. De nombreuses bactéries ont des gènes de résistance aux métaux lourds et des gènes de résistance aux antibiotiques, et elles peuvent échanger ces traits génétiques facilement. Lorsque des métaux lourds subsistent dans l’eau ou les sols, ils créent des conditions propices à la croissance de bactéries résistantes aux deux types de gènes de résistance.
« Voyez cela comme si l’on exerçait de la pression à une extrémité d’une l’échelle, perturbant ainsi l’équilibre, poursuit-il. Si les bactéries peuvent survivre dans un milieu contaminé par les métaux lourds, elles jouissent d’un avantage. Si certaines de ces mêmes bactéries résistent également aux antibiotiques, cet avantage devient plus marqué. Au fil du temps, les gènes en cause deviennent plus courants dans la communauté microbienne et rendent le traitement d’infections bactériennes plus difficile. »
La recherche est solidement ancrée dans les réalités locales. Le Nord de l’Ontario est doté d’une importante industrie minière et compte de nombreuses usines de traitement des eaux usées desservant les communautés rurales et urbaines. Les métaux lourds et d’autres polluants provenant de sources industrielles et naturelles finissent par se retrouver dans les eaux usées, de sorte que la région est l’endroit idéal où mener une étude sur l’influence des facteurs environnementaux sur la résistance.
Le projet pose un certain nombre de questions importantes :
- Comment les métaux lourds et les polluants présents dans les eaux usées contribuent-ils à l’échange de gènes de résistance?
- Est-ce que les différentes usines de traitement créent des conditions uniques qui accélèrent ou ralentissent les mécanismes en cause?
- Est-il possible de suivre ces changements pour prédire les points chauds pour la résistance future?
Pour trouver des réponses à ces questions, l’équipe de M. Ybazeta recueille des échantillons d’eaux usées des différentes usines de traitement de la région. Elle analysera la teneur en métaux lourds et la génétique bactérienne dans chaque échantillon, brossant ainsi un portrait détaillé de la manière dont la résistance se propage sous différentes conditions environnementales.
Allant d’échantillons locaux à des solutions mondiales
L’objectif ultime du projet est ambitieux, mais crucial : permettre la mise au point de modèles prédictifs qui aideront les communautés locales et les organismes environnementaux à agir avant que cette résistance ne devienne incontrôlable.
« Cette recherche nous donne le pouvoir d’anticiper, précise-t-il. Si nous pouvons identifier des schémas, comme s’il existe une corrélation entre un certain taux de contamination par les métaux lourds et une hausse marquée du nombre de gènes de résistance, nous pourrons agir de manière précoce. Les conséquences possibles pourraient comprendre, par exemple, l’apport de modifications aux processus de traitement des eaux usées ou de gestion du ruissellement industriel ou même la conception de programmes de gestion de l’utilisation d’antibiotiques dans les hôpitaux. »
Pour le Gustavo Ybazeta, les répercussions dépassent de loin l’intérêt intellectuel.
« La même eau qui quitte une usine de traitement finit par se retrouver dans les rivières, les lacs et les communautés, précise-t-il. Si les bactéries résistantes se propagent dans ces systèmes hydrographiques, il ne s’agit plus simplement d’un problème environnemental, mais d’un problème de santé publique. Cette recherche nous aidera au bout du compte à protéger les populations vulnérables et réduira le fardeau des infections difficiles à traiter en milieu clinique. »
Les experts soutiennent que si la résistance aux antimicrobiens poursuit son évolution effrénée, elle pourrait entraîner la mort de millions de personnes à l’échelle mondiale d’ici 2050 », ajoute-t-il.
« Ce n’est pas un problème lointain, termine-t-il. C’est un problème actuel et local. Et pour y mettre fin, nous devons absolument comprendre l’aspect environnemental de l’équation. »
Au fur et à mesure que les échantillons sont prélevés et analysés et que les données prennent forme, l’espoir est d’autant plus clair : en explorant les liens cachés entre les métaux lourds, les microbes et la médecine, les chercheurs de Sudbury pourraient contribuer à la lutte contre l’une des menaces les plus importantes pour la santé de notre époque.